31/07/2010
Ressorti de mes archives, ce texte « J’attends la fin d’un monde » qui accompagnait l’installation du même nom que j’avais réalisé en 1996 à Fort-de-France. Il n’a pas pas beaucoup vieilli, hélas !

J’attends la fin d’un monde… J’attends encore et encore. Je n’en finirais d’attendre et j’attends le rêve, celui de l’ange. J’attends la folie, celle d’une sirène noyée. J’attends le désir, celui de l’auteur. J’attends un bus. J’attends celui qui d’un clin d’œil m’emportera si loin, celle qui m’enveloppera des ses ailes diaphanes. J’attends les nouvelles d’Ulysse qui ne m’a toujours pas écrit et quand je pense à tout cela, je me demande bien s’il faut encore attendre, et pourtant j’attends. J’attends mon départ imminent : aile C, porte 23, pour navette aller simple. Il paraît que c’est beau là-bas, le soleil est doux et les nuages tendres. Enfin, je crois bien que c’est la destination réservée sur mon billet. J’attends une gentille sorcière, elle m’a promis mes trois étoiles et leur fond bleu, elle me les a dessiné et même plus. J’attends le sommeil – les yeux grands ouverts – la colombe de l’innocence. Je me souviens de mes pigeons, mes aigles royaux dans la rue de mon enfance. Et puis ce n’était pas la même, la même rue, la même vie, la même histoire, la même larme. C’était hier. Et j’attends ici même et nulle part pareil. J’attends l’autre, personne d’autre, rien que lui et elle, un sourire, une lueur, un tendre regard. Je ris de moi, de cette attente éternelle et renouvelée. Je ris de cette lutte : des châteaux de cartes éphémères, de Don quichotte fatigué, de la reine déchue et je ris de mes pleurs et puis je m’endors. Réveil soudain, plus que jamais dans une salle d’attente, il y a des revues toutes vieilles, des macrélages rassis, des photos jaunies ; quelle tristesse ! Un grand soupir, le souffle lourd, j’attends. Une porte s’ouvre : pas beau le monsieur, même pas un sourire. Je ne me lève pas ; je préfère attendre encore un peu, je passe mon tour, peut-être que ce sera un autre architecte un peu plus tard. Fermer les yeux. L’infini est si proche et ma fée me guide depuis l’aube de mes ancêtres. Il n’y a pas si longtemps ; environ deux ou trois millénaires, enfin beaucoup plus ! Deux jours. J’attends toujours mon prochain voyage, la gare est vide, on est bien toujours seul, des fois à côté il y a quelqu’un mais vraiment à côté. Enfin, j’attends. Et je serai encore là tant que les hommes se raconteront des histoires, et moi avec. J’attends la fin d’un rien, d’un tout, de presque, d’avec. Affamé de vies, d’espoirs, d’étranges paysages, de faux passages, d’amours. Ah, l’amour ! J’attends l’amour : petites annonces, deux mots et je souris. J’attends le temps aussi et son frère qui nous entoure, juste de quoi respirer et de quoi survivre face à l’ennemi. L’ombre de mes peurs, le rebelle oublié et à peine disparu. Seul, j’attends. Je ne sais plus qui j’attends, sinon être soi-même, ni plus ni moins, comme il faut, juste là, pas à côté, tout juste là. Sinon ne rien négliger : son corps, son esprit et leurs hordes de fantômes. Sinon être là c’est déjà pas mal. Un, deux, trois… : j’attends. Et vous, ça ne vous dirait pas ? Attendre et toujours espérer, ne presque jamais savoir, ne presque jamais comprendre. Attendre ensemble cette nuit, une dernière, juste avant celle d’après et encore celle d’après après. Depuis l’aube du premier jour qui a vu un petit gars croire qu’il était à lui seul l’univers et sa constellation de vies. Depuis, qu’est-ce qu’on fait ? Sinon attendre !  Alors, attendons… La fin d’un monde. Un petit sourire, une gentille fée me cligne de l’œil, un ange passe et le monde lui-même attend, comme un grand, l’éternel recommencement. Cette fin sublime, cette fine ligne venant du néant, allant là-bas où nos âmes errent à travers l’immensité de nos histoires. Quelle fin ? Quelle attente ? Y’a qu’à prendre un journal, regarder la télé, faire l’amour. Non, je rigole, pas faire l’amour, du moins pas pour attendre. Petit sourire. Vous attendez quoi au fait en lisant ces mots absurdes ? Le jackpot, votre horoscope, l’être tendre, un nouveau boulot, un fantasme inassouvi, l’illumination divine. Non non, attendez (justement), laissez moi deviner ? Vous n’attendez rien et vous avez tout compris car il ne faut rien attendre, sinon soi-même. Alors entre nous, c’est pas la fin d’un monde que j’attends mais bien celui de mon monde, de mes rêves, de l’innocence, du vice caché, de mes millénaires, du déséquilibre, de l’amère bataille de mes scénarios, de la solitude, du deuil des autres, du silence et de l’éternel “je t’aime“. Ne vous inquiétez pas, cette nuit veillera sur nous. Grains de sable, fermez les yeux, le rêve à jamais…