01/08/2010
Vous faire découvrir Joby Bernabé (lire et écouter), un conteur martiniquais, homme de paroles, arpenteur de poésies ; de ceux qui pourraient nous guider et éclairer nos sombres cheminements.
La logique du pourrissement, un de ses textes les plus forts, date de plus de vingt ans et est d’une actualité (hélas) brûlante et résonne plus que jamais comme un cri, sourd, lourd, prenant. Le poète en action nous alerte, la chute sera terrible.
Voici donc ce texte éblouissant de lumières et de noirceurs :
« C’est la blessure qui s’infecte et le microbe qui se délecte quand se rengorge la gangrène. C’est la fissure qui rigole et rigole qui s’fend la gueule. C’est la chaussure qui prend l’eau, la peinture qui s’écaille, la moisissure prend ses aises. C’est la chemise qui s’fait la malle, la redingote qui est en crise d’avoir été beaucoup portée, souillée, lavée et retournée ; et la couture n’en peut plus, la crise abuse de la reprise, un petit bout de chaîne à droite, un petit coup de chaîne à gauche, un petit point avant-devant, un petit point devant derrière. C’est la centrale qui pisse la mort et la rivière a mal au foie ; c’est l’écrevisse qui rend l’âme et l’arbre à pain qui a le blues ; c’est l’eau de coco en berlingot, c’est pour bientôt je vous le dis ! C’est la corde de la mère igname qui étrangle la mère igname. C’est une cité qui s’emmure dans une névrose de béton, les oiseaux glissent à la dérive ; les P.V. jouent aux feuilles mortes ; les flics engraissent leurs papillons, la ville a mal aux entournures. C’est quand le sinus et que la conserve a ras-le-bol, la boîte gonfle et puis se mouche et les débits qui s’amoncellent ont des dégaines de sinistres. C’est un dessin qui se marchande, une terre du Sud qui perd son or ; un chant d’amour qu’on hypothèque. L’espoir trimballe un goût de poisse et la psy se fait son beurre quand les neurones se font d’la bile. On vend d’la foi à tour de bras et les gourous ont le bras long. On paie dans gangs pour tuer la peur dans les agences du Nirvana. Le père Noël s’internétise et la culture se « macoutise ». Les jeunes chevauchent dans leurs guetthos, les paradis de la défonce. Le diable solde ses miroirs et la folie pétri ses jours en sifflotant un air de cendres. C’est dans le swing de cette logique qu’un soir de mercredi des Cendres, justement, un épiphénoMan travaillant du chapeau au milieu d’un macadam vague, près d’un amas d’âmes paumées, me confia qu’il avait conçu entre deux ulcères d’estomac une prodigieuse dialectique pour consacrer le pourrissement : supralogique du pourrissement ; et poétique du pourrissement. Celle d’un néophénoMan, merveilleusement identique à lui-même, debout dans le fumier de l’absurde… »