L’édito contrepoint de Vincent Lindon
Les Echos, 01/12/2019

« Dans la rue, on m’arrête souvent. « Oh, je vous adore ! Merci pour ce que vous êtes, merci pour ce que vous faites. » Ils s’adressent sans doute au maître-nageur de « Welcome » qui vient en aide aux migrants. A moins qu’ils ne parlent au vigile de  « La loi du marché » indigné par la façon dont on traite les précaires. Ou peut-être au syndicaliste de  « En guerre », qui finit par s’immoler par le feu, sacrifice ultime sur l’autel de l’inégalité.

Les passants aussi me donnent le beau rôle : je ne suis aucun de ces héros, mais j’ai choisi de les incarner. Parfois, il s’ensuit un dialogue. J’écoute ces récits de vies souvent difficiles, invivables, même si je sais qu’ils s’adressent plus à mes personnages qu’à moi-même. Problèmes d’accès aux soins médicaux, de scolarisation des enfants, d’hébergement des personnes âgées, d’hébergement tout court, d’emploi, de tout, partout. Toujours, le même sentiment, celui d’un abandon extrême, sournois, toujours contesté mais toujours plus tangible, : qu’est devenu l’Etat puissant et protecteur d’antan ? Qu’est-il arrivé au service public, jadis objet de fierté, aujourd’hui ruiné, rogné, raillé ? Ses activités rentables ont été privatisées. Ainsi le gaz, l’eau, le rail, le téléphone, les autoroutes ont-ils été, partiellement ou en totalité, vendus à l’encan.

« Comment nos décideurs peuvent-ils dormir la nuit ? »

Dans les secteurs qu’il contrôle encore, l’Etat semble avoir renoncé à l’exigence de qualité qui constituait l’essence du modèle français. De l’hôpital au bord de la rupture à l’enseignement sous tension permanente, le système fait eau de toutes parts, noyant les plus faibles. Comment nos décideurs peuvent-ils dormir la nuit ? Ont-ils oublié que rien n’est plus précieux que la santé ? Ne savent-ils plus que l’école est l’outil indispensable d’ouverture sur le monde, où l’on apprend à nos enfants à discerner le bien du mal, le juste de l’inéquitable ? Ne voient-ils pas la catastrophe qui s’avance, qui pourrait bien les menacer eux aussi, l’histoire nous ayant appris que, parfois, les peuples les mieux soumis décapitent leur roi ?

Les privatisations au profit de quelques-uns, qui ont déjà tout, les privations pour tous les autres, qui ont déjà rien. A ce diptyque se résume l’action des gouvernements qui se sont succédé depuis trois ou quatre décennies, toutes couleurs partisanes confondues. Et toute honte bue.

Bien plus que l’effet d’un seul homme, aussi brillant soit-il, c’est cette continuité de l’action, longtemps dissimulée par des postures antagonistes, qui a dévasté le paysage politique, en France et ailleurs. Partout ou presque, les citoyens désertent les urnes ou s’égarent dans des votes inutiles. Aux oubliés de la start-up nation, il ne reste que la rue pour dire leur colère ou leur désespoir. Dans la rue, l’Etat retrouve de sa vigueur : instructions inflexibles à sa police, lourdes condamnations par sa justice.

« Pour agir »

D’un saltimbanque, personne ne peut attendre une solution miracle. Sans surprise, je n’en ai pas. 

Pour agir malgré tout, j’ai dû emprunter d’autres voies, parallèles, plus étroites. Libre, n’ayant ni maîtres à servir, ni normes comptables à respecter, j’ai saisi une opportunité de terrain, un engagement associatif ou ma petite notoriété peut être utile, et où toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

Pour agir, j’ai choisi l’association « Un rien c’est tout » qui porte au quotidien les valeurs humanistes qui sont les miennes depuis l’enfance.

Pour agir, j’ai simplement écouté Winston Churchill : « On vit de ce que l’on obtient, mais on construit sa vie sur ce que l’on donne. » »

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